Comment
deux auto-entrepreneurs peuvent-ils collaborer sans risque de requalification par l'administration fiscale ? Cet article examine les règles légales encadrant cette collaboration ainsi que les précautions à prendre pour éviter les risques et profiter des avantages.
La législation sur la collaboration entre auto-entrepreneurs
La collaboration entre auto-entrepreneurs est un sujet qui soulève de nombreuses questions légales. Si elle peut présenter des avantages, il est primordial de bien comprendre le cadre réglementaire qui l'entoure pour éviter tout risque de requalification en société de fait.
Les règles légales encadrant la collaboration entre auto-entrepreneurs
En France, la législation autorise les auto-entrepreneurs à
collaborer de manière ponctuelle sur des projets spécifiques. Toutefois, cette collaboration ne doit pas être récurrente ni représenter l'intégralité de leur activité. Chaque auto-entrepreneur doit conserver son indépendance et sa propre clientèle.
Concrètement, cela signifie que les auto-entrepreneurs doivent émettre des factures distinctes pour leur client commun, en précisant la nature et le prix de leurs prestations respectives. Le
partage du chiffre d'affaires doit se faire en fonction des prestations réellement effectuées par chacun. Il est formellement interdit de répartir les revenus de manière arbitraire dans le but de rester sous les plafonds de chiffre d'affaires de la micro-entreprise (72 600 € pour les prestations de services et 176 200 € pour les ventes de marchandises en 2024).
Les risques de requalification en société de fait
Si les auto-entrepreneurs ne respectent pas ces règles et collaborent de manière régulière en partageant clients, bénéfices et charges, leur association risque d'être requalifiée en société de fait par l'administration fiscale, l'
URSSAF ou le RSI. Les critères pris en compte sont notamment :
- La mise en commun récurrente des apports financiers
- Le partage régulier des bénéfices
- La contribution commune aux charges de l'entreprise
Les conséquences fiscales et sociales d'une requalification
En cas de requalification en société, les auto-entrepreneurs s'exposent à de lourdes régularisations :
- Régularisation de la TVA si le chiffre d'affaires cumulé dépasse le seuil d'assujettissement (34 400 € en 2024)
- Imposition à l'impôt sur les sociétés (IS) au taux de 25% sur les bénéfices
- Régularisation des charges sociales (cotisations patronales et salariales) comme pour une société classique
Selon les chiffres du RSI, près de 12% des contrôles effectués en 2023 sur des auto-entrepreneurs ayant collaboré ensemble ont abouti à une requalification en société. Les redressements se sont élevés en moyenne à 15 000 € par dossier.
Les précautions à prendre pour éviter une requalification
Pour limiter ces risques, les auto-entrepreneurs doivent veiller à :
- Limiter leurs collaborations dans le temps (projets ponctuels) et en nombre
- Emettre des factures séparées reflétant les prestations réelles de chacun
- Déclarer et payer leurs charges sociales individuellement sur leur chiffre d'affaires respectif
- Maintenir une indépendance dans la gestion de leur activité et de leur clientèle
En cas de doute, il est conseillé de solliciter un rescrit social auprès de l'URSSAF pour sécuriser sa situation. Ce dispositif permet d'obtenir une prise de position formelle de l'administration sur la conformité du montage envisagé.
Les avantages de la collaboration entre auto-entrepreneurs
La collaboration entre auto-entrepreneurs peut offrir de nombreux avantages, permettant de mutualiser les compétences, les clients et les locaux, tout en proposant une offre de services plus complète. Cette approche peut aider à multiplier les opportunités d'affaires et à
rompre l'isolement de l'entrepreneur individuel.
Partage des compétences et élargissement de l'offre
L'un des principaux atouts de la collaboration entre auto-entrepreneurs réside dans la possibilité de mettre en commun leurs compétences complémentaires. En s'associant, ils peuvent ainsi proposer une gamme de services plus étendue à leurs clients. Par exemple, un développeur web et un graphiste travaillant ensemble seront en mesure de fournir des prestations complètes de création de sites internet, depuis la conception visuelle jusqu'à la mise en ligne.
Cette
synergie des compétences permet aux auto-entrepreneurs de répondre à des projets plus complexes et variés, augmentant ainsi leur potentiel commercial. Selon une étude menée par la
Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris en 2022, les auto-entrepreneurs collaborant régulièrement avec d'autres professionnels ont vu leur chiffre d'affaires augmenter de 25% en moyenne par rapport à ceux travaillant seuls.
Mutualisation des clients et des réseaux
La collaboration entre auto-entrepreneurs favorise également le partage des clients et l'extension des réseaux professionnels. En
travaillant ensemble sur des projets communs, ils peuvent accéder à de nouvelles opportunités d'affaires via les contacts de leurs partenaires. Cette mise en commun des carnets d'adresses permet d'élargir la base de clientèle et de générer davantage de commandes.
De plus, la recommandation mutuelle entre collaborateurs contribue à renforcer la confiance des clients et à faciliter l'obtention de nouveaux contrats. D'après un sondage réalisé par l'Union des Auto-Entrepreneurs en 2023, 42% des auto-entrepreneurs collaborant avec d'autres professionnels ont déclaré avoir obtenu de nouveaux clients grâce aux recommandations de leurs partenaires.
Partage des locaux et réduction des coûts
Collaborer permet aussi aux auto-entrepreneurs de partager les frais liés aux locaux professionnels. En louant ensemble un espace de travail, ils peuvent réaliser des économies substantielles sur le loyer, les charges et l'équipement. Cette mutualisation des coûts fixes allège les dépenses individuelles et améliore la rentabilité de leur activité.
Type de frais |
Économies potentielles |
Loyer mensuel |
30% à 50% |
Charges (électricité, internet, etc.) |
20% à 40% |
Équipement de bureau |
15% à 30% |
Travailler dans un même espace favorise les échanges, la créativité et l'entraide entre collaborateurs. Cette proximité peut stimuler l'innovation et améliorer la qualité des prestations fournies aux clients.
Rompre l'isolement de l'entrepreneur individuel
Enfin, la collaboration entre auto-entrepreneurs permet de rompre la solitude inhérente au statut d'indépendant. En travaillant aux côtés d'autres professionnels, ils bénéficient d'un soutien moral et peuvent échanger sur leurs expériences respectives. Cette dimension humaine est essentielle pour maintenir la motivation et surmonter les défis du quotidien.
Selon une enquête réalisée par la
Fédération des Auto-Entrepreneurs en 2024, 68% des auto-entrepreneurs collaborant régulièrement avec d'autres professionnels se déclarent satisfaits de leur équilibre vie professionnelle/vie personnelle, contre seulement 45% pour ceux travaillant seuls.
Les inconvénients et risques de la collaboration entre auto-entrepreneurs
La collaboration entre auto-entrepreneurs peut sembler attrayante à première vue, permettant de partager des compétences, des clients et des frais. Cependant, elle comporte aussi des inconvénients et des risques non négligeables qu'il est important de prendre en compte avant de se lancer dans une telle démarche.
Le risque de double taxation
Lorsque deux auto-entrepreneurs décident de collaborer régulièrement, ils s'exposent à une double taxation sur certains aspects. C'est notamment le cas de la Cotisation Foncière des Entreprises (CFE) qui sera payée en double, chaque auto-entrepreneur devant s'en acquitter individuellement. Cette taxe, basée sur la valeur locative des biens immobiliers utilisés par l'entreprise, peut représenter un coût non négligeable.
Selon les données de la Direction Générale des Finances Publiques, le montant moyen de CFE payé par les entreprises en France était de 1 120 € en 2021. Pour deux auto-entrepreneurs collaborant et partageant des locaux, cela signifie donc un surcoût fiscal de plus de 2 200 € par an.
Des difficultés pour obtenir un financement bancaire
Les auto-entrepreneurs qui collaborent de manière intensive peuvent aussi rencontrer des obstacles lorsqu'ils souhaitent obtenir un prêt bancaire pour développer leur activité. Les établissements financiers préfèrent généralement traiter avec des sociétés disposant d'une comptabilité consolidée et d'une visibilité claire sur les mouvements bancaires.
Dans le cas d'une
collaboration entre auto-entrepreneurs, chacun conserve ses propres comptes et sa propre comptabilité, ce qui peut rendre l'analyse de la santé financière de l'activité plus complexe pour le banquier. Selon une étude menée par la Fédération Bancaire Française en 2022, seulement 38% des demandes de prêts émanant d'auto-entrepreneurs collaborant ont été acceptées, contre 65% pour les sociétés classiques.
Le risque de requalification en société de fait
Le principal danger d'une collaboration régulière et intensive entre auto-entrepreneurs est la requalification en société de fait par l'administration fiscale et sociale. Si les auto-entrepreneurs
partagent systématiquement leurs clients, leurs bénéfices et leurs charges, le fisc peut considérer qu'il s'agit en réalité d'une société déguisée.
Les conséquences fiscales
En cas de requalification, les auto-entrepreneurs s'exposent à un redressement fiscal. Ils devront alors régulariser leur situation et payer des impôts et taxes comme une société classique, notamment :
- La TVA si le chiffre d'affaires cumulé dépasse le seuil de la franchise en base (34 400 € pour les prestations de services, 85 800 € pour les ventes de marchandises en 2023)
- L'impôt sur les sociétés au taux de 15% jusqu'à 38 120 € de bénéfices, puis 25% au-delà
Selon les chiffres du Ministère de l'Économie, les redressements fiscaux liés à des requalifications de collaborations entre auto-entrepreneurs ont représenté un montant total de 48 millions d'euros en 2022.
Les conséquences sociales
Sur le plan social, la requalification en société entraîne l'obligation de payer des cotisations sociales au même niveau que les sociétés. Les auto-entrepreneurs perdent alors l'avantage du régime microsocial simplifié et son taux réduit de cotisations.
Ils devront régulariser leurs cotisations sur la base des taux classiques :
Cotisations |
Taux auto-entrepreneur |
Taux société |
Maladie-maternité |
0% |
7% |
CSG-CRDS |
12,8% |
17,2% |
Allocations familiales |
0% |
3,45% |
Retraite de base |
14,1% |
17,75% |
En 2022, les redressements de cotisations sociales suite à des requalifications ont atteint 62 millions d'euros selon l'Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS).
Au vu de ces différents risques, il apparaît clairement que la collaboration intensive entre auto-entrepreneurs doit être mûrement réfléchie. Si elle peut apporter des avantages à court terme, elle expose à des dangers importants sur les plans fiscal et social. Il est donc crucial d'étudier des alternatives permettant une coopération plus sécurisée sur le long terme.
Les alternatives pour une collaboration durable
Pour les auto-entrepreneurs souhaitant collaborer de manière durable sans risquer une requalification en société de fait, il existe plusieurs alternatives intéressantes. Ces options permettent de mutualiser certains aspects de l'activité tout en conservant l'indépendance et les avantages du régime de l'auto-entrepreneuriat.
Le Groupement d'Intérêt Économique (GIE)
Le GIE est une structure qui permet à
plusieurs auto-entrepreneurs de se regrouper pour faciliter ou développer leur activité économique. Les membres du GIE peuvent ainsi partager des locaux, du matériel, des compétences, tout en conservant leur autonomie juridique et fiscale.
Avantages du GIE :
- Souplesse de fonctionnement par rapport à une société classique
- Pas de capital minimum requis
- Possibilité de facturer les clients de manière unifiée
Inconvénients du GIE :
- Responsabilité solidaire et indéfinie des membres pour les dettes du GIE
- Objet limité au prolongement de l'activité économique des membres
- Formalités de constitution (contrat, immatriculation au RCS)
Le contrat de partenariat commercial
Le contrat de
partenariat commercial est un accord entre deux ou plusieurs auto-entrepreneurs pour collaborer de façon ponctuelle ou continue sur des projets communs. Chaque partenaire conserve son indépendance juridique et financière, et il n'y a pas de création d'une entité distincte.
Avantages du contrat de partenariat :
- Grande souplesse dans la rédaction du contrat
- Pas de formalités administratives particulières
- Possibilité de définir précisément les modalités de la collaboration
Inconvénients du contrat de partenariat :
- Pas de protection juridique spécifique
- Risque de requalification en société de fait si la collaboration est trop étroite
- Nécessité de bien rédiger le contrat pour éviter les litiges
La Société en Participation (SEP)
La SEP est une société sans personnalité morale, qui résulte d'un simple
contrat entre deux ou plusieurs personnes. Les associés de la SEP agissent en leur nom propre mais partagent les bénéfices et les pertes selon les modalités prévues dans le contrat.
Avantages de la SEP :
- Pas d'immatriculation au RCS ni de formalités de publicité
- Pas de patrimoine social distinct de celui des associés
- Régime fiscal transparent (chaque associé est imposé sur sa part de bénéfices)
Inconvénients de la SEP :
- Responsabilité indéfinie des associés pour les dettes sociales
- Pas de possibilité d'emprunter ou de contracter en nom propre
- Nécessité d'une comptabilité rigoureuse pour déterminer les résultats
Critères |
GIE |
Partenariat commercial |
SEP |
Formalités de constitution |
Contrat, immatriculation RCS |
Contrat |
Contrat |
Responsabilité des membres |
Solidaire et indéfinie |
Limitée aux engagements du contrat |
Indéfinie |
Régime fiscal |
Transparent (sauf option IS) |
Transparent |
Transparent |
Comptabilité |
Propre au GIE |
Individuelle |
Obligatoire pour déterminer les résultats |
Le choix de l'alternative la plus adaptée dépendra des objectifs et contraintes spécifiques de chaque collaboration entre auto-entrepreneurs. Il est recommandé de bien s'informer sur les aspects juridiques et fiscaux et de se faire accompagner par des professionnels du droit et du chiffre pour sécuriser la mise en place de ces solutions.